Un peu de technicité
Nous partons à la découverte de constructions hydrauliques, aménagées entre les communes de Vinça et Marquixanes dans le Conflent. La gestion de la ressource en eau a toujours été complexe, que ce soit pour l’irrigation des terres agricoles ou l’approvisionnement en eau potable des populations. Aussi, la répartition de l’eau est soumise aux nombreux aléas climatiques, que ce soit les inondations (souvenons nous de l’Aïguat en 1940) ou les épisodes de sécheresse intense.
La rivière de la Llentilla est un important affluent de la Têt, dont le périmètre est lui-même un sous bassin versant par rapport au fleuve. Elle reçoit les eaux du Llech, cours d’eau qui qui se jette dans la Llentilla en aval d’Espira-de-Conflent. Aussi, 4 canaux d’irrigations dérivent les eaux de la Llentilla, dont le canal dit de Joch. Celui-ci est très ancien, puisqu’il a été construit au 13e siècle ! Il s’agit à l’origine du canal Rec Major, décrit en 1821 par Jaubert de Passa dans « Mémoire sur les cours d’eau et les canaux d’arrosage des Pyrénées-Orientales ». Le canal permet d’alimenter plusieurs villages ; Joch, Rigarda, Vinça et Finestret, à partir de trois branches de partage des eaux. Dans son descriptif, l’érudit explique que le canal prend sa source à Valmanya dans la vallée étroite de la Lentilla et que « c’est dans cette gorge, où il semble impossible de pénétrer sans risque, que la main de l’homme a dessiné, exécuté un canal d’arrosage ». Vers 1950, le canal est renforcé par des conduites en ciment, ce qui entraina la disparition de certains arbres par manque d’humidité. Plusieurs ouvrages hydrauliques ont été construits grâce au canal long de 9 km, comme des moulins, ou des abreuvoirs. A Joch, le canal permettait le fonctionnement d’un moulin à huile (appartenant à la famille Molins) et d’un moulin à farine seigneurial qui disposait de deux meules, et pouvait moudre jusqu’à 22 hectolitres par jour. Une papèterie a même été construite en 1860, en contrebas du moulin à farine et fut exploitée en même temps que ce dernier jusqu’au début du XXe siècle. Le papier constitué de tissus de chanvre et de lin était broyé à l’aide de la roue hydraulique du moulin. La force des trois chutes d’eau permettait d’irriguer la plaine et de faire fonctionner les moulins ; une au-dessus de l’ancien moulin à farine, une entre le moulin à farine et l’ancienne papeterie et une dernière en contrebas de cette dernière, au niveau du moulin à huile aujourd’hui disparu.
JOCH - Chute d'eau de l'ancienne minoterie (moulin à farine) - Coll Echernier Cluc CC delcamp.net - sd /Photographie 2019
En 2011, les 6 canaux de la plaine de Vinça dont ce fameux canal de Joch ont fusionné, pour former l’ASA (Association Syndicale Autorisée) du Canal de la plaine de la Llentilla. Au lieu d’avoir 2 syndicats par village, l’ASA n’en compte plus qu’un et possède un secrétariat partagé. C’est ce que l’on appelle la fusion …. Pratique pour la gestion administrative et financière ! Aujourd’hui, ce canal sert essentiellement à l’irrigation et temporairement à alimenter le lac des Escoumes l’été (plan d’eau de Vinça). Sa particularité est de fonctionner de manière gravitaire depuis la prise d’eau dans la Llentilla, ce qui signifie que l’alimentation peut être possible sans avoir recours à la mise en place de pompes. Des parcelles sont toutefois raccordées à un réseau de distribution en conduite (donc un réseau sous-pression), notamment sur la commune de Finestret. Aussi, contrairement à l’irrigation gravitaire, l’irrigation sous-pression contribue à réduire les consommations en eau et à faciliter la gestion de la ressource. Ce système se retrouve dans une station de pompage placée au niveau de la retenue de Vinça ; le réseau de transfert d’eaux brutes mis en place, permet de substituer les prélèvements dans la Llentilla par un système de pompage dans la retenue de Vinça, au moment où le débit dans la rivière est insuffisant. Donc pour résumer, lorsque le niveau de la Llentilla est bas, il est possible de pomper l’eau à partir du barrage, pour l’emmener en amont du réseau d’irrigation vers Joch. Tout ça bien évidemment pour pallier aux problématiques de manque d’eau et de sécheresse. La station comprend 4 pompes, dont une seule est actuellement en fonction. Une pompe permet de monter entre 100 et 120 litres/seconde !
Tout cet ensemble est relié à un bassin placé à la sortie de Joch, fonctionnement également par pression. Celui-ci possède un dégrilleur, permettant l’accumulation sur une grille de feuilles ou autres embâcles susceptibles de boucher l’installation. En aval du bassin se trouvent des filtres, utilisés pour empêcher le sable de continuer sa course dans les canalisations.
1. Station de pompage de la retenue de Vinça, 2022
2. Bassin en sous-pression relié à la station de pompage, 2022
3. Filtres à sable, 2022
Une autre installation mérite d’être reconnue ; c’est la centrale hydroélectrique de Vinça en fonction depuis maintenant 2 ans. Sa construction a été portée par l’ASA du canal de la plaine de la Llentilla, et permet de produire une énergie soucieuse de respecter l’environnement. Avec cette installation, plus de 400 ménages ont accès à l’électricité. La turbine électrique fonctionne d'octobre à fin mai.
Turbine de l'usine hydroélectrique de Vinça, 2022
Et pour terminer, petit passage le long du canal de Marquixanes, séparé en deux branches appelées « Branche ancienne » et Branche Nouvelle ». Tout comme le précèdent, il remonte au 12e siècle et appartenait au départ à l’abbaye de Saint-Martin du Canigou…. Le cours d’eau alimente des pâturages, mais aussi des cultures de châtaignes, arbres fruitiers et même des plantes aromatiques. Marquixanes est essentiellement connu pour la culture de l’olivier, permettant le développement d’une véritable micro industrie avec l’édification de moulins à huile ; celui de la Passere sur la commune voisine d’Eus, en est un très bon témoignage. La répartition des deux branches du canal de Marquixanes s’effectue par ailleurs au niveau du moulin, étrange non ? Pas tellement, tout a finalement été bien pensé, à partir de la force hydraulique du canal conduite dans le canal. Avec l’épisode de gel survenu en 1956, la production d’huile d’olive est à l’arrêt. Il a donc fallu trouver une culture de substitution, à savoir celle de la vigne ! Cette adaptation de l’homme face aux changements climatiques s’est aussi opérée sur la Côte Vermeille, du côté de Banyuls-sur-Mer. Bon revenons à notre canal …. Il irrigue sur Marquixanes 140 hectares et est géré par une seule ASA. La branche nouvelle paraît plus vieille, car les bordures n’ont pas été recimentées, contrairement à la branche ancienne. Aujourd’hui, des travaux de busage sont en cours sur la branche ancienne, en raison des nombreux éboulements qui sévissent sur la commune. Bref, tout un programme !
1. Canal "Branche ancienne" de Marquixanes, 2022
2. Travaux en cours avec buse au niveau d'un tronçon du canal "Branche ancienne" de Marquixanes, 2022
3. Canal "Branche nouvelle" de Marquixanes, 2022
©Léonie DESHAYES - Chargée de mission Patrimoine culturel - Médiathèque intercommunale de Prades - Juillet 2022
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