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Moulins d’hier et d’aujourd’hui, l’exemple du territoire voisin de Bélesta

Aujourd’hui nous partons sur le territoire granitique de Bélesta, connu dans le département pour ses bornes-frontières marquant la délimitation entre les royaumes de France et d’Aragon. Cette frontière a été établie dès 1258 avec le Traité de Corbeil, signé entre Jacques Ier le Conquérant et Louis IX. Dès lors, le Fenouillèdes est annexé au royaume de France et Bélesta constitue la frontière entre le royaume de France et la couronne d’Aragon.


Non loin du village se trouve un moulin à farine ruiné, construit vers 1814 et mis en fonction en 1816. Son histoire et sa description apparaissent dans l’ouvrage « Moulins & Meuniers du Fenouillèdes Fin XVIIIe – Début XXe siècle », écrit en 2021 par Jean-Pierre Comps, Jacques Comes, Marcel Delonca et Monique Formenti avec les relevés et aquarelles de Catherine Dujol-Belair. C’est un livre qui permet de découvrir 43 moulins hydrauliques du Fenouillèdes, recensés par des passionnés du patrimoine vernaculaire.

Couverture de l'ouvrage : COMPS, Jean-Pierre, COMES, Jacques, DELONCA, Marcel, et alii. Moulins & meuniers du Fenouillèdes. Fin XVIIIe-Début XXe siècle. Éditions Trabucaire. Juin 2021. 244 pages.


Dans le cadre des Journées d’études 2022 de la SASL en hommage à Anny de Pous organisées par la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales (SASL), l’archéologue Jean-Pierre Comps a donné de riches commentaires sur l’historique et le fonctionnement du moulin à farine actuellement ruiné.


Ce moulin a été construit assez tardivement par rapport à d’autres du Fenouillèdes ou même du Conflent, qui apparaissent déjà sur le cadastre napoléonien. Cela s’explique par le caractère aride du paysage, avec des cours d’eau majoritairement à faible débit et des pluies rares. Des ressources complémentaires à l’activité de meunerie étaient donc nécessaires (agriculture, etc.). Probablement en raison de son éloignement, le moulin à farine cessa son activité à la fin du 19e siècle. De plus, il ne fut pas la seule construction employée pour moudre les céréales sur Bélesta, puisqu’en 1843 un moulin à vent est édifié sur la crête dominant le village au nord.


Le moulin à farine était alimenté par un canal de dérivation, dont la resclosa (prise d’eau) dans la rivière de la Cabrayrisse se trouvait en amont de la construction. En raison de l’aridité du lieu, des bassins ont dû être construits afin de pallier au manque d’eau. L’édifice fonctionnait donc par éclusée, grâce à un premier réservoir construit sous forme de retenue. L’eau circulait ensuite à partir d’un conduit (aujourd’hui bloqué par une dalle en brique) dans un bassin de grande taille de forme trapézoïdale. Un troisième bassin dit de mise en charge prolonge à l’est le grand réservoir. Il a la particularité d’avoir des murs très épais et de mesurer 5,45 m de long sur 1,30 m de large. Un contre-mur à contrefort et trois parties distinctes de 1,70 m de haut et de 50 cm de large environ, vient longer le bassin de mise en charge. Sa fonction est bien précise, puisqu’il permettait d’éviter les infiltrations d’eau dans les salles principales du moulin.

1) Premier réservoir, ©LD (2022)

2) Mur nord du second réservoir (grande taille), ©LD (2022)

3) Bassin de mise en charge, ©LD (2022)


Bâti sur trois niveaux, le moulin à proprement parlé comprend en soubassement la chambre hydraulique (cavea) à voûte clavée, dont le mur de force encore en place à l’est conserve une arche en plein cintre à pierres de granit posées de chant (canal de fuite). Sur les 34 moulins à farine que j’ai pu recenser sur le Conflent entre 2019 et 2022, aucun n’a une hauteur de voûte aussi importante. Ici à Bélesta, il m’a été possible de rentrer à l’intérieur de la chambre hydraulique, ce qui est très difficile dans la majeure partie du temps. Il subsiste dans cette chambre le coursier en bois de la trompe, et trois orifices de passage des commandes : un pour l’arbre (la cameta) à entrée de plan carré et intérieur circulaire, un pour régler l’écartement des meules et un dernier pour réguler le débit d’arrivée de l’eau.

1) Voûte clavée de la chambre hydraulique, ©LD (2022)

2) Coursier en bois de la trompe, ©LD (2022)

3) Orifice de passage de l'arbre (disparu), ©LD (2022)


La chambre des meules qui constitue le niveau supérieur, est actuellement très encombrée par la végétation. Elle est accessible au sud par un escalier à marches en granit. Selon les recherches effectuées sur le site par les archéologues et historiens, il subsistait des fragments de meules ; « un carreau, en pierre meulière, trouvé sur place appartenait à la meule tournante qui avait un diamètre de l’ordre de 1,40 m » (extrait page 41 du livre précédemment cité).

La façade est correspondant au mur de force du moulin, est percée de petites ouvertures non ordonnancées. L’une d’entre elles semblable à une archère, se trouve à l’intermédiaire entre la chambre hydraulique et celle des meules. Elle est surmontée sur son côté gauche par une baie carrée à encadrement en bois. Le troisième niveau correspondant à une partie habitable, s’ouvre sur une ouverture plus grande à linteau en bois et arc de décharge en petits blocs de granit équarris. Des trous de boulins agrandis postérieurement pour certains sont également visibles en façade.

1) Escalier d'accès sud à la salle des meules, ©LD (2022)

2) Vue est du moulin, ©LD (2022)

3) Mur de force est, ©LD (2022)


D’autres parties réservées à l’habitation sont visibles au nord et au sud du moulin. L’entrée de l’espace méridional est matérialisée par un très beau linteau surbaissé en cayrous. Il subsiste à l’intérieur un gond en fer forgé, dispositif d’une porte disparue qui devait être en bois. Des petites salles annexes servaient sans doute pour l’élevage (cochons, chèvres), activité exercée en supplément de la production de farine à partir du méteil.

Plusieurs remaniements ont été apportés sur le bâti ; on remarque la présence d’un enduit couvrant sur quelques murs intérieurs, des ouvertures colmatées et une reprise de la maçonnerie avec des pierres plus ou moins équarries. Dans l'ensemble, les murs sont en moellons de granit et gneiss mêlés à un mortier de chaux/ciment.

1) Linteau surbaissé en cayrous - Entrée partie habitation, ©LD (2022)

2) Gond de porte en fer forgé - Entrée partie habitation, ©LD (2022)

3) Mur intérieur est remanié - Entrée partie habitation, ©LD (2022)


Voilà pour le moulin !


En complément vous trouverez une liste exhaustive d’ouvrages et de sources archivistiques qui peuvent être consultées au sujet des moulins et des canaux pour l’alimentation des industries hydrauliques/hydroélectriques et l’irrigation. A noter que les travaux précurseurs en la matière sont ceux de Nathalie Caucanas, archiviste paléographe et Docteur en histoire médiévale (Toulouse 2, 1988). Elle a été conservatrice aux Archives des Pyrénées-Orientales et directrice des Archives départementales de l’Aude.


Bibliographie :


CAUCANAS, Sylvie. Moulins et irrigation en Roussillon du IXe au XVe siècle. Paris. CNRS. 1995. 421 pages.


CAUCANAS, Sylvie. Énergie hydraulique et irrigation en Roussillon du IXe au XVe siècle, histoire de l'aménagement d'un réseau. In N. Broc, M. Brunet, S. Caucanas, et alii., De l'eau et des hommes en terre Catalane. Perpignan. Trabucaire. 1992, pp. 59-109.


CAUCANAS, Sylvie. Aménagements hydrauliques en Roussillon du IXe au XVe siècle. In Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen [en ligne]. Tome 63. 1992, p.p. 65-72.


CAUCANAS, Sylvie. Les premières mentions de moulins en Roussillon. In Etudes Roussillonnaises offertes à Pierre Ponsich. Perpignan. Le Publicateur. 1987, p.p. 167-174.


JAUBERT DE PASSA. François Jacques (baron). Mémoire sur les cours d’eau et les canaux d’arrosage des Pyrénées-Orientales [en ligne]. Éditions Huzard. 1821, 311 pages.


ROSENSTEIN, Jean-Marie. Revue Conflent. Les moulins en Conflent. 1989. 147 pages.


ROSENSTEIN, Jean-Marie. Revue Conflent. Etat complémentaire des moulins du Conflent. Confrérie de métiers : meuniers. N°150, 25ème année, 1987.


RANCOULE, Guy. Revue Ceretania. Moulins et ateliers en haut Conflent aux 17e/19e siècles : origines et évolution, essai sur les aspects sociaux et relationnels. Numéro 4. 2005. – p.p. 141-162.


Sources aux archives départementales des P.O. :


1911W12 : Bassin de la Têt, réglementation des prises d’eau, enquête : instructions, correspondance (1887-1888) ; concession d’eau aux usines : instructions, correspondance, plans (1911-1922).


1911W80 : Bassins de l’Agly, de l’Aude et de la Têt, irrigation et usines sur les cours d’eau : état statistique. 1897-1899.


111W165 : Canaux, usines et moulins : plans et tableaux (1906), besoin en eau des propriétés.


13 Sp 1-2 : Usines et fabriques du département. Etats de situation, 1816-1924.


13 Sp 3 : Usines et fabriques du département. Autorisations, règlements d’eau, réclamations, plans, 1816-1924.


13 Sp 4-30 : Fabriques et moulins. Fabriques de draps, bouchons, espadrilles, papier, crème de tartre, tabatières, boules de buis…moulins à farine, huile, chocolat, scieries, tanneries, poteries, briqueteries, distilleries, forges, filatures, création et modification : enquêtes, pétitions, règlements d’eau, correspondance, plans, classés par bassin et par commune. An VI – 1926.


13 Sp 23-26 : Fabriques et moulins. Bassin de l’Agly.


13 Sp 4-14 : Fabriques et moulins. Bassin de la Têt.


13 Sp 17-22 : Fabriques et moulins. Bassin du Tech.


Série 8 S : Fonds de la préfecture. Mines, forges, carrières, usines, machines à vapeur, fabriques, moulins.


Série 7 S : Les canaux d’irrigations. Sous-séries 14 Sp, 75 W, 98 W, 111 W, 1933 W


Un grand merci à la SASL pour l'organisation de ces journées qui permettent de découvrir les travaux de recherches des anciens et nouveaux chercheurs du département.



©Léonie DESHAYES, UDAP 66, Novembre 2022


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