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Les coulisses du château de Riell

Qui n’a jamais voulu explorer les endroits secrets des lieux fortifiés aux temps des rois et des comtes ?

A l’occasion des Journées européennes du patrimoine qui ont eu lieu les 17 et 18 septembre dernier, le château de Riell a exceptionnellement ouvert ses portes afin de faire visiter les fameuses « oubliettes ». S’agissait-il de cachots souterrains ou d’espaces utilisés pour entreposer les denrées alimentaires au frais ? La réponse est sans doute plus complexe, d’autant plus qu’il n’y a pas de traces de graffitis d’occupants enfermés ni de latrines, et que la température est la même qu’à l’extérieur…

Pour se faire une petite idée, faisons un bond dans le temps pour comprendre ce qui a pu conduire à l’aménagement de ces « oubliettes ».


Le château de Riell, situé sur la commune de Molitg-les-Bains, domine une station thermale implantée au creux de la vallée de la Castellane réputée pour ses eaux bienfaisantes utilisées au moins depuis le XIe siècle.

Il a la particularité d’avoir été bâti à l’emplacement d’un ancien édifice fortifié (XIIIe siècle ?). La construction du château tel que nous le voyons aujourd'hui, fut entreprise à la fin du 19e siècle par le docteur Edouard de Massia (1824-1892), fils de François de Massia (1796-1878), qui hérita des établissements thermaux en 1859 [ROSENSTEIN, Revue Terra Nostra, Numéro 97 ter, 2004, p.84]. En effet, peu de temps avant son décès, Edouard de Massia prévoit dans un contrat de vente établi à Prades le 14 septembre 1892, la vente d’un « château en construction avec terrasse formant soubassement et terre arrosable, le tout attenant contigu et ne formant qu’un seul et même corps, sis au lieu-dit près le chemin des Bains, d’une superficie de 82 ares (…) [A.D.P.O. : 3 E 55/184]. Le fils d'Edouard, Henri de Massia, repris par la suite le château ainsi que l'ensemble du parc d'agrément.

La construction du château de Riell avec le toit encore inachevé, 1895, cliché Seguy. In ROSENSTEIN, Jean-Marie. Revue Terra Nostra. Els Banys – Les Bains de Molitg. Historique d’une station thermale. Numéro 97 ter. 2004, p.102.


Dans la seconde moitié du 20e siècle, le château devient la propriété de la famille Barthélémy, dont Adrien Barthélemy [ROSENSTEIN, Revue Terra Nostra, Numéro 97 ter, 2004, p.115], qui entrepris la rénovation complète de l’établissement thermal de Molitg. Le nouvel actionnaire s’est illustré dans la fondation de la Chaîne Thermale du Soleil, considérée comme étant la première chaîne française d’établissements thermaux. De plus, le château de Riell a été transformé en hôtel restaurant de luxe cinq étoiles, restauré et mis au goût du jour de la famille Barthélémy dans les années 1980. Actuellement, il bénéficie du label Relais & Châteaux.

1. Vallon de Molitg-les-Bains (Pyrénées-Orientales), Phototype Labouche Frères, Toulouse, s.d. In AD Pyrénées-Orientales, 24Fi109/1 à 35 : Fonds des cartes postales anciennes de la commune de Molitg.

2. Vue d'ensemble du château de Riell depuis les hauteurs du hameau des Thermes, ©LD (2020).

3. Façade sud du château de Riell, ©LD (2020).


Et les souterrains dans tout ça ? Ils se trouvent bien entendu en sous-sol du château et leur accès s’effectue depuis le rez-de-chaussée ou l’allée rejoignant le restaurant ainsi que le jardin. Plusieurs meurtrières sont visibles dans le soubassement, directement creusé dans la roche ! Ces souterrains impressionnent par leurs couloirs aux murs massifs, desservant plusieurs espaces aménagés pour accueillir aujourd’hui les évènements organisés par le château tels que les mariages. D’ailleurs, il se trouve que les lieux ont servi de boîte de nuit dans les années 1970-1980 ! On retrouve encore l’ancienne affiche de ce « Club des Oubliettes » illustrée d’une belle chouette, animal totem du château disséminé un peu partout (vitraux de la porte d’entrée principale par exemple).

1. Oubliettes - Anciennes meurtrières, maçonnerie extérieure des souterrains, ©LD (2020)

2. Oubliettes - Ancienne affiche de la boîte de nuit "Club des Oubliettes", ©LD (2020)

3. Vue d'ensemble de la porte d'entrée du château avec vitraux représentants une chouette, ©LD (2020)


Selon les témoignages recueillis sur le site, les galeries du soubassement auraient été utilisées par la garnison du château de Paracolls (IXe, Xe, XIe siècles), un des plus anciens ensembles castraux répertoriés dans les Pyrénées-Orientales. Ces deux sites fortifiés doivent donc être reliés par ce système de galeries complexes. Bien que proche de celui de Riell, Paracolls n’est pas compris dans le territoire de Molitg-les-Bains, mais dans celui de Campôme. Pour autant, il s’inscrit dès le XIe siècle dans une seigneurie puissante, dirigée par les comtes de Cerdagne, dont Guifred, fondateur de l’abbaye de Saint-Martin-du-Canigou. Il se trouve qu’à cette époque, Molitg compte parmi les possessions du comte, comprenant aussi le "castrum" de Paracolls. Le site fortifié doit d’ailleurs son nom à la famille de Paracolls, mentionnée en 1102 comme étant vassale du comte de Cerdagne…

Vue générale du site de Paracolls depuis la Route des Bains, ©LD (2020)


Venons en maintenant à la description de nos fameuses galeries. Elles sont reliées entre elles par des arcades outrepassées à impostes, avec un encadrement en briques ou en granit posées de chant. Dans les pièces à vivre, les arcs reposent sur des piliers massifs de section carrée.

1. Oubliettes - Galerie à arcades outrepassées en cayrous, ©LD (2020)

2. Oubliettes - Arc outrepassé à impostes en granit, ©LD (2022)

3. Oubliettes - Pièce de vie avec arcades en plein cintre reposant sur un pilier de section carrée, ©LD (2022)


La pièce principale, transformée avec l’aménagement d’un bar et d’un espace en hauteur pour le DJ lors des festivités, conserve une cheminée d’angle demi circulaire, à ouverture scindée en deux par une colonnette remaniée en pierre de taille et surmontée de linteaux surbaissés. L’âtre en cul-de-four est en briques réfractaires.

Oubliettes - Cheminée d'angle remaniée lors de l'installation de la boîte de nuit, ©LD (2020)


L’espace précèdent dispose d'un balconnet en fer forgé, dont le support circulaire intégré partiellement dans la maçonnerie semble se rapporter à une ancienne meule de moulin. Le centre de cette pierre réemployée a été agrandi et évidé postérieurement. Une seconde meule circulaire clairement identifiée en tant que tel sert également de support à une cheminée, caractérisée par une hotte suspendue concave reposant sur des corbeaux en pierre de taille. La meule d’environ 2 m est conservée dans son entièreté. Son oeillard central ne comporte pas d’engravure pour loger l’anille (pièce de fer située au centre de la meule courante permettant de la mettre en mouvement), ce qui laisse penser qu’il pourrait s’agir d’une meule fixe ou « dormante ».

1. Oubliettes - Grande pièce de vie avec éléments médiévaux conservés, ©LD (2022)

2. Oubliettes - Balconnet avec meule réemployée (?) en tant que support, ©LD (2022)

3. Oubliettes - Cheminée à hotte suspendue et meule de moulin réemployée, ©LD (2022)


Le système de voûtement est ancien, avec une charpente de plancher à voûtains en briques et solives en fer forgé. Ce dernier matériau se retrouve dans un remplage néogothique, intégré dans un mur jouxtant une actuelle cuisine.

Oubliettes - Plancher à voûtains en briques et solives en fer forgé, ©LD (2020)

Oubliettes - Remplage néogothique en fer (?) situé au-dessus d'une voûte en plein cintre, ©LD (2022)


A ce jour, aucune investigation archéologique n’a été réalisée dans le sous-sol du château de Riell. Peut-être dans un futur plus ou moins proche ? En tout cas, les oubliettes n’ont pas encore révélées tous leurs secrets…



©Léonie DESHAYES - Chargée de mission Patrimoine culturel - Médiathèque intercommunale de Prades - Septembre 2022


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