Monfreid sous le soleil de Gauguin
Cette nouvelle exposition visible au musée d’art Hyacinthe Rigaud de Perpignan du 25 juin 2022 au 06 novembre 2022, est dédiée au peintre, graveur et céramiste Georges-Daniel de Monfreid, né à New-York le 14 mars 1856 et mort à Corneilla-de-Conflent le 26 novembre 1929. Elle établit une relation intime entre l’artiste et Paul Gauguin (1848-1903), amitié entretenue par l’amour de la création et le goût de la modernité. Ce dernier donnera d'ailleurs à Monfreid procuration dans la gestion de ses affaires en France, à la suite de son départ pour Tahiti en 1895. Si bien qu’à la mort de Gauguin, sa veuve lui demanda dans une lettre du 25 septembre 1903 de prendre en charge la succession : « Je sais que depuis des années vous vous occupez des affaires de Paul. Et je vous serais très reconnaissante, si pour l’amour de celui qui n’est plus, vous vouliez bien continuer » [A.D. Yvelines, fonds Maurice Denis, 166J29 (Ms 5293)].
Caroline Barrière, mère de Georges-Daniel de Monfreid, fait l’acquisition en 1863 du domaine Saint-Clément à Corneilla-de-Conflent, par l’intermédiaire de son probable père biologique, surnommé « l’oncle Reed ». Elle achète alors une ferme du 17e siècle appartenant à un officier d’intendance en retraite du nom de M. Reynès-Pagès et s’y installe avec son fils. L’inventaire détaillé du fonds d’atelier de Monfreid établi en 1951 par Jean Loize, permet d’en savoir davantage sur la demeure initiale et les travaux de rénovation réalisés dès l’installation de la famille. En effet, « l’unique étage de la fort petite maison de maître, regardant le village, fut surélevé. De même, l’ancien logement du fermier, dont la cour fut pourvue d’une grille bien jolie ». Monfreid dira dans ses carnets qu’ils en firent « en apparence du moins, une sorte de petit castel, auquel on conserva le nom de Saint-Clément, sous lequel M. Reynès-Pagès aimait à le désigner. C’était déjà le nom de la colline contre lequel il s’adosse, et celui de la chapelle en ruines, jadis dédiée à ce saint » [LOIZE, 1951, p.10].
Monfreid ne séjourne pas à l’année au domaine, puisqu’il part étudier dans une pension suisse. Il effectue de courts séjours et s’en rapproche manifestement en septembre 1898, lorsqu’il vint s’installer en Conflent dans une maison à Fullà avec sa seconde épouse, Annette Belfils (1887-1950).
Musée d'art Hyacinthe Rigaud : Georges-Daniel de Monfreid :
1. Les gorges de Fullà, 1899, huile sur toile, Perpignan, musée d’art Hyacinthe Rigaud
2. Le Canigou en hiver, 1921, huile sur toile, Paris, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
3. Paysage de Corneilla, 1925, huile sur toile, collection privée
En 1904, après la mort de sa mère et de celle de son ami Gauguin, Monfreid hérite de la propriété de Saint-Clément. Profitant du calme pyrénéen de ce lieu unique, l’artiste y séjourne régulièrement avec sa seconde épouse Annette et leur fille Agnès. De nombreux artistes et amis proches de Georges-Daniel de Monfreid viendront profiter de bons temps au domaine, dont Aristide Maillol (1861-1844), Henri Matisse (1869-1954), Louis Bausil (1876-1945), ou encore Gustave Violet (1873-1952). Celui-ci est bien connu des Conflentois, car il est l’auteur de nombreux enduits peints et sculptés reconnaissables en façades sur rue. Violet a vécu dans sa maison-atelier de Sant Martí, dont il a lui-même établi les plans en 1908. La conception ainsi que les décors intérieurs sont de Gustave Violet, aidé par de nombreux artisans du Conflent avec qui il collabora durant de nombreuses années. Il produisait dans son atelier dédié à la poterie, des céramiques qu’il commercialisait avec les marques-sceaux Sant Martí, Canigó et Ruscino. L’artiste a travaillé dès 1918 avec Georges-Daniel de Monfreid, puis avec le peintre Étienne Terrus (1857-1922), qui a séjourné à la même époque. Tout ce microcosme de peintres, sculpteurs et céramistes catalans, s’est par ailleurs véritablement formé en 1902 lors du premier Salon de Perpignan.
1. Musée d'art Hyacinthe Rigaud : Georges-Daniel de Monfreid, Portrait de Louis Bausil dit L’Homme à la pipe, 1905, huile sur carton, Dédicacé « G.D.M. / à mon ami Bausil / St. Clément / sept 1905 », Narbonne, musée d’Art et d’Histoire
2. Vue générale de la maison-atelier de Gustave Violet, Sant Martí (Prades), L.D 2021
3. Réclame « Au rêve » en enduit sculpté et polychromé attribuée à Gustave Violet avec le concours de Joachim Eyt, n°12 rue Victor Hugo, L.D 2022
Georges-Daniel de Monfreid a représenté plusieurs vues du domaine de Saint-Clément, notamment dans son « Autoportrait à la chemise bleue » réalisé en 1901. Le château apparaît en arrière-plan sous la forme d’un tableau encadré, inséré discrètement telle une mise en abyme. Cette œuvre témoigne de la forte amitié qu’il entretient alors avec Paul Gauguin, qui désirait obtenir une toile en échange de plusieurs de ses sculptures en bois.
Musée d'art Hyacinthe Rigaud : Georges-Daniel de Monfreid :
1. Autoportrait à la chemise bleue, 1901, huile sur carton, Paris, musée d’Orsay
2. Vue du pavillon nord de Saint-Clément, 1927, huile sur toile, collection Camille de Monfreid
2. Le portail de Saint-Clément, 1927, huile sur toile, collection privée
D’autres membres du cercle à la fois professionnel et amical de Monfreid ont contribué à sa renommée artistique, dont Gustave Fayet (1865-1925), alors peintre, et conservateur du musée des Beaux-Arts de Béziers, également connu comme étant un grand collectionneur. En 1900, Fayet fait l’acquisition de trois de ses œuvres, destinées à rejoindre sa collection personnelle à Béziers. C’est également lui qui se chargea de former une collection privée de Paul Gauguin, avec l’aide de Monfreid. Des correspondances épistolaires étaient régulièrement échangées, comme l’atteste la lettre autographe à Gustave Fayet datée du 26 octobre 1919. Elle est ornée d’un frontispice gravé représentant le château Saint-Clément, avec en premier plan une jeune femme en train de lire et prenant appui sur un muret. La vue de l’édifice est identique à celle peinte par Monfreid dans son « Autoportrait à la chemise bleue » !
Musée d'art Hyacinthe Rigaud : Georges-Daniel de Monfreid, Lettre autographe à Gustave Fayet, 26 octobre 1919, papier, encre et estampe, Frontispice gravé par Monfreid d’avril à juin 1919 pour sa correspondance, collection privée
Le Calvaire, sculpture en terre cuite conçue par Monfreid entre 1889 et 1899, s’inscrit dans une nouvelle modernité de l’art religieux, notamment à travers la structuration géométrique de la Croix. Celle-ci contraste avec la figuration classique de l’iconographie mettant en avant le Christ crucifié, pleuré par la Vierge et Marie-Madeleine. Le modelage du bas-relief aurait commencé à l’été 1896 dans les Pyrénées-Orientales, puisque Monfreid se serait rendu à Prades chez le potier Deprade. Pour des questions de commodités, l’artiste continue sa création à Saint-Clément, où il s’occupa de fabriquer des carreaux de terre cuite, pour ensuite les décorer de motifs émaillés (octobre 1899). Resté inachevée à sa mort, le Calvaire est repris en 1938 par Aristide Maillol qui réalisa un tirage en plâtre. Après le démontage de l’œuvre, ce tirage permis au sculpteur Louis Mallais-du-Carroy, de réaliser en 1961 la sculpture actuelle par assemblage de 22 éléments préalablement moulés.
Musée d'art Hyacinthe Rigaud : Georges-Daniel de Monfreid, Aristide Maillol, Louis Mallais du Carroy, Calvaire, 1897-1961, terre cuite moulé, moulée par estampage en 22 éléments assemblés, Vernet-les-Bains, crypte de l’église nouvelle
Pour aller plus loin dans le quotidien de Georges-Daniel de Monfreid, vous pouvez consulter sur le site internet du musée d’art Hyacinthe Rigaud ses 96 carnets journaliers autographes écrits entre 1896 et 1929. Acquis en 2020 par le musée, ces carnets sont des témoignages précieux de la vie quotidienne de l’artiste, entre insatiabilité créative, microcosme culturel et familial. L’accessibilité à tous de cet incroyable fonds manuscrit s’inscrit dans les missions principales d’un musée de France, que sont conserver, restaurer, étudier, enrichir et faire connaître le patrimoine culturel.
Lien pour découvrir les carnets : https://monfreid.musee-rigaud.fr/
Bibliographie :
LOIZE, Jean. De Maillol et Codet à Segalen. Les amitiés du peintre Georges-Daniel de Monfreid et ses reliques de Gauguin. 1951. 175 pages.
BERNADI, Claire, COLLETTE, Flore, DUMAS, Céline, FERLIER-BOUAT Ophélie, MARRON-WOJEWODZKI, Maud, DE MONFREID, Guillaume, LATHAM, Laure, LATHAM, Marc, PICARD, Pascale, RIU, Inès, VALAISON, Marie-Claude. Musée d'art Hyacinthe Rigaud. Catalogue d'exposition. Monfreid sous le soleil de Gauguin. Silvana Editoriale. Milan. juin 2022. 294 pages.
DESHAYES, Léonie. Inventaire patrimonial de la commune de Prades. 2021-2022.
©Léonie DESHAYES - Chargée de mission Patrimoine culturel - Médiathèque intercommunale de Prades - Juillet 2022
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