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Archéologie au cœur de Prades

Un programme de fouilles archéologiques étendu de Juillet à la mi-Novembre et mené par les archéologues de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), est actuellement en cours dans la commune de Prades. Il concerne une grande partie d'un ancien îlot d’habitation, situé entre la rue du Palais de Justice et la place Catalogne. La ville porte en effet un projet d'aménagement comprenant des logements et un hôpital de jour. Plus de 750 m2 vont donc pouvoir être documentés grâce aux travaux des archéologues, qui ont mis en évidence des vestiges allant de l’Antiquité à l’époque contemporaine.

Mais avant d’en savoir davantage sur ces trésors du sous-sol, faisons un bond dans le temps pour comprendre comment était structuré le bâti.


En 2017, des premières observations sur l’îlot concerné ont été faites à partir de sondages et d’un diagnostic des habitations n°34 à n°40 rue du Palais de Justice. Celles-ci se sont principalement développées entre les 15e et 16e siècles, même si quelques-unes gardent des éléments architecturaux pouvant être datés du 14e siècle ! Parmi le bâti se trouve l’hôtel particulier ayant appartenu aux Felip, qui occupait une très grande superficie. Cette famille vous dit peut-être quelque chose ? Elle possédait en effet une maison du 17e siècle, située en bordure de la place de l’église et qui accueillera prochainement le futur CIAP (Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine) de Prades.


La rue du Palais de Justice, mentionnée au 14e siècle sous le terme de « Ruha » (du catalan médiéval « Arruga » signifiant « sillon » et traduit en français par « Grande Rue »), s’est donc vraisemblablement urbanisée entre la fin du 14e siècle et le 15e siècle, avec de petites maisons à un ou deux étages. Sur l’arrière des parcelles, ces premières maisons comprennent une cour et des jardins, urbanisés au cours des siècles suivants. La maçonnerie de l’habitat est composée de galets de rivière, liés à un mortier de terre tiré du sol naturel. La terre était extraite dans l’environnement immédiat, comme l’atteste la découverte récente dans la zone de fouilles de trois fosses d’extraction de terres crues. La couverture de la toiture est en schiste, matériau également employé dans l’aménagement de petites niches quadrangulaires ou triangulaires, servant pour l’éclairage (lampe à huile).

Dès le courant du 16e siècle, les maisons qui bordent la Rua sont transformées. Avec le développement des activités commerciales et la mise en place d’un réseau de transports marchands, le rez-de-chaussée se dote d’un étal. Un second étage est construit et forme avec le premier un encorbellement sur la rue. L’usage du pan de bois en façade principale éclairé par des fenêtres croisées, n’est pas sans rappeler le modèle architectural de la fameuse maison Jacomet...

Entre les 17e et 18e siècles, un troisième étage est rajouté et permet au bâti de se développer en hauteur. Les parcelles d’habitations fusionnent entre elles, pour former de grands volumes. L’intérieur des habitations comprend des éviers creusés en alcôve dans les murs et des cheminées décorées en stuc.


À partir de 1840, le centre-ville de Prades se métamorphose, sous l’impulsion d’un nouveau réaménagement urbain. Cette époque est en effet marquée par la révolution industrielle, avec l’arrivée du chemin de fer, de l’électricité et du gaz. Les maisons de la rue du Palais de Justice vont perdre leur encorbellement, afin de réaligner les façades sur rue. Grâce aux observations faites par les archéologues et chercheurs à l’intérieur du bâti, on sait que les maisons du 19e siècle présentaient au rez-de-chaussée des couloirs avec un décor d’imitation de marbre rose, ou encore des escaliers d’apparats représentatifs du statut social des propriétaires. Chose curieuse, les plafonds étaient élaborés à partir de roseaux rendus et tissés.

Jusqu’au début du 20e siècle, les pièces intérieures sont décorées de papiers peints, dont plusieurs couches correspondant à des périodes différentes ont pu être découvertes. Ceux des années 1820-1840 ont été réalisés grâce à la technique de l’impression à la planche, tandis que les papiers peints du début du 20e siècle influencés de l’Art Nouveau, sont des créations de l’artisanat pradéenne locale.

Localisation des propriétés étudiées dans le cadre du projet "Cœur de ville", JANDOT, Céline. Le patrimoine méconnu des maisons de Prades (XVe-XXe siècles). Archéo-66, bulletin de l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales, n°35. 2020, figure 2, p.126.


C’est donc grâce à toutes ces analyses du bâti que les archéologues peuvent désormais se pencher sur l’étude de périodes plus anciennes, comprises entre l’Antiquité et le Moyen Âge.

Avant le 15e siècle, la Ruha est le centre d’un véritable quartier artisanal dédié à la métallurgie du fer. Les fouilles en cours ont permis de mettre au jour une zone de réduction du minerai et son espace de stockage, une aire d’épuration du métal formée de foyers d’affinage, ainsi que d’ateliers de corrorage et de mise en forme pour la fabrication d’outils. Le corroyage est un procédé consistant à souder le métal, pour permettre d’évacuer ses impuretés. Après la mise en forme, les outils étaient chauffés au contact de poudre de charbon de bois et de poudre de corne et d’os, afin de solidifier le métal en carbone (source : Inrap). Ces vestiges restent disparates et concernent surtout des résidus de l’activité métallurgique, comme les scories de fer (déchets issus des processus de fusion du métal).


Si vous avez l’occasion de vous rendre sur le site, vous pourrez apercevoir différentes zones de fouilles, qui semblent se rattacher aux étapes de la chaîne opératoire. Des niveaux plus anciens ont été découverts, notamment dans la zone Est du site avec des traces d’un ancien chemin antique. Mais que pouvait donc-t-il faire ici ? Il est probable qu’il s’agisse d’une voie secondaire reliée à la Via Confluentana, qui, selon les sources historiques, correspondrait au tracé de l’ancienne Ruha !

Toujours est-il que le sol du chemin comprend des cailloutis de tailles différentes, dont la présence prouve qu’ils n’ont rien de naturel. Afin de délimiter son tracé, des traits orange en pointillé sont matérialisés.


Enfin, un ensemble de vestiges hydrauliques permettent de renseigner sur l’importance de l’eau pour le fonctionnement de ces micro industries et les usages de la vie quotidienne. Dans la cour d’une maison, les archéologues ont pu trouver un bassin de drainage des eaux à sol en calade (galets de rivière) du 18e siècle ou 19e siècle. Mais ce n’est pas tout ! Le sous-sol de l’îlot de fouilles révèle la présence d’un canal d’amenée d’eau construit entre les 15e et 16e siècles, également utilisé pour l’évacuation des eaux usées. Des objets rejetés ont ainsi été retrouvés, comme de la vaisselle de table (céramique, etc.). Avec l’urbanisation du 18e siècle, le canal est recouvert. Bétonné par la suite, il restera en fonction jusqu’en 2020.


Une dernière énigme hydraulique située au centre de l’îlot n'a pas échappé à notre regard... Il s’agit d’un bassin creusé, anciennement mis en eau par alternance selon les saisons. Des négatifs de poteaux découverts pourraient se rapporter à une plateforme, positionnée au-dessus de bassin. Celui-ci devait vraisemblablement servir aux artisans de la métallurgie pour leur activité. Peut-être avait-il aussi servi pour le rinçage des peaux utilisées dans la fabrication du cuir ? Mystère, les investigations en cours n’ont pas encore fini de nous surprendre !

Présentoir avec dépliants produits par l'Inrap, médiathèque intercommunale de Prades


Plan au sol des fouilles archéologiques de Prades en cours


Fosses d'extraction de terres crues (1,2,3) et bassin de drainage du 18e siècle ou 19e siècle (4 en arrière-plan)


Arrière-plan : Forge d'épuration / Zone de réduction : tas de minerai et proximité du bas fourneau

Premier plan : Zone de rejet de la forge d'épuration (source : Inrap)


Ateliers de forge de corroyage et de mise en forme (1)

Ateliers de forge de corroyage et de mise en forme (2)




Prescription et contrôle scientifique :

Véronique Lallemand, Service Régional de l'Archéologie, Drac Occitanie


Responsable scientifique des fouilles :

Céline Jandot, Inrap (diagnostic du bâti en élévation)

Jérôme Kotarba, Inrap (diagnostic du sous-sol)

Odile Maufras, Inrap (fouille)


Sources :


Inrap. Institut national de recherches archéologiques préventives. Archéologie au cœur de Prades. Dépliant accessible à la médiathèque de Prades.


JANDOT, Céline. Le patrimoine méconnu des maisons de Prades (XVe-XXe siècles). Archéo-66, bulletin de l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales, n°35. 2020, p.p. 126-132.


KOTARBA, Jérôme. Prades : immeubles des n°34 à 40 rue du Palais de Justice. Archéo 66, Bulletin de l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales, n°32. 2017, p.p. 35-37.


HUSER, Astrid, CATAFAU, Aymat. La Maison Jacomet de Prades. Association culturelle de Cuxa. Prades. 2011. 120 pages.



Texte et photographies :

©Léonie Deshayes - Chargée de mission Patrimoine culturel - Médiathèque intercommunale de Prades - Octobre 2021

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